Synopsis

Le Monde... Marseille... Quartiers Nord... L’Estaque. Marius et Jeannette sont au milieu de leur vie.
Marius vit seul dans une immense cimenterie désaffectée qui domine le quartier. Il est le gardien de cette usine en démolition. Jeannette élève, seule, ses deux enfants avec un maigre salaire de caissière. Elle habite une minuscule maison ouverte sur une courette typique de l’habitat méditerranéen. Ses voisins de cour, Caroline et Justin, Monique et Dédé, l’encouragent avec force éclats de rire et coups de gueule. La rencontre de Marius et de Jeannette ne sera pas simple car, outre les difficultés inhérentes à leur situation sociale, ils sont blessés... Par la vie.
Le film décrit la renaissance de leur capacité à être heureux.
Cette romance populaire se terminera bien car... Il le faut.
Il faut réenchanter le monde.


Fiche technique

• Titre : Marius et Jeannette
• Réalisateur : Robert Guédiguian
• Scénario : Robert Guédiguian et Jean-Louis Milesi
• Musique originale : Jacques Menichetti
• Chansons : Il pleut sur Marseille et La Farandole, paroles de Jean-Louis Milesi et musique de Jacques Menichetti
• Musiques additionnelles : Eduardo Di Capua (O sole mio), Johann Strauss (Le Beau Danube bleu), Antonio Vivaldi (Les Quatre Saisons)
• Directeur de la photographie : Bernard Cavalié
• Ingénieur du son : Laurent Lafran
• Perchman : François Domerc
• Mixeur son : Jean-Yves Rousseau
• Décorateur : Karim Hamzaoui
• Maquilleur : Maïté Alonso
• Assistant réalisateur : Jacques Reboud
• Monteurs : Bernard Sasia, Valérie Meffre, Lydie Ferran
• Société de production : Agat Films & Cie
• Producteur : Gilles Sandoz
• Directeur de production : Malek Hamzaoui
• Distributeur d’origine : Diaphana
• Pays d’origine : France
• Format : Couleur - Son stéréophonique - 35mm
• Genre : Comédie dramatique
• Durée : 105 minutes
• Date de sortie : 19 novembre 1997 en France


Distribution

• Ariane Ascaride : Jeannette
• Gérard Meylan : Marius
• Pascale Roberts : Caroline
• Jacques Boudet : Justin
• Frédérique Bonnal : Monique
• Jean-Pierre Darroussin : Dédé
• Laëtitia Pesenti : Magali
• Miloud Nacer : Malek
• Pierre Banderet : Monsieur Ebrard


Présentation du réalisateur et du film :

Marius et Jeannette est un film militant, un film d’amour, réalisé par Robert Guédiguian, réalisateur pugnace, et une belle équipe d’acteurs, tous amis du réalisateur, pour un cinéma social et politique.

Au départ Marius et Jeannette devait être un téléfilm, produit pour l’unité de fiction de Pierre Chevalier sur Arte. Le budget prévu est de 2,5 millions de francs (presque 390000 euros), le tournage de 23 jours et la diffusion prévue pour juin 1997. En avril le film est sélectionné pour le festival de Cannes et sera ainsi distribué dans les salles, obtenant un déclassement pour entrer dans la catégorie des « films cinématographiques ». Le film a eu 9 prix en France et 4 à l’étranger, dont le Prix Louis-Delluc « Meilleur film » en 1997 et le César du cinéma de la meilleure actrice pour Ariane Ascaride en 1998.

Robert Guédiguian, cinéaste français a jusqu’ici borné son exploration à une seule ville : Marseille. Borné n’est peut-être pas le mot approprié, tant tout ce qui travaille notre société traverse avec la même violence chacun de ses films. Si le port de l’Estaque est immortalisé par les peintres cubistes et impressionnistes, il reste en effet la référence fondatrice des fictions de Guédiguian. On se rend compte que ce qui fait l’intérêt des films de Guédiguian, sa fraîcheur, sa turbulence, sa véracité sociologique ne se ternit pas, bien au contraire, au fil des années et des titres suivants. Cet enfant de l’Estaque, aux racines arméniennes et allemandes, bien avant que ne soit à la mode les films sur les banlieues, va exprimer l’univers marginal des quartiers nord de Marseille. A l’aide d’une mise en scène minimaliste, en accord parfait avec ce monde dur et attachant, Guédiguian va se révéler comme un héritier particulièrement pertinent et fécond de Pasolini, parfois revu par Pagnol à travers des dialogues savoureux par leur naturel même. Qu’importe. Guédiguian n’est pas Pagnol. Dans « Marius et Jeannette », il y a Marius, mais pas d’Escartefigue ni de Monsieur Brun, et encore moins de César. Dans « Marius et Jeannette », il n’y a pas de Fanny, mais il y a Jeannette et ce n’est pas le genre de femme à aller se jeter dans les bras du premier fortuné Panisse venu pour élever ses deux enfants. Outre ses immenses qualités créatrices, Guédiguian va s’engager dans une expérience économique qui le situe comme un des rares en France à produire avec son équipe un cinéma « terroir », petit monde hyperlocalisé, mais touchant, grâce à ses tonalités méditerranéennes, à l’universalité même. « Tourner ailleurs qu’à Marseille serait pour moi comme écrire dans une langue étrangère » prétend Robert Guédiguian. Et rares sont les cinéastes qui savent prendre le pouls de leur quartier d’enfance et provoquer tour à tour et le rire et les larmes, en livrant leurs espoirs, leurs émotions, leurs convictions avec autant d’intelligence et de générosité. « Marseille ne m’inspire pas, a dit un jour Guédiguian, elle me fonde. Comme tous les Marseillais, mes origines sont mêlées. Mais comme tous les Marseillais, mes origines me préoccupent peu. Lorsqu’on me demande qui je suis, je réponds : « Je suis un fils d’ouvrier, né à l’Estaque, dans les quartiers nord de Marseille. » Voilà mon identité, ma culture et ma morale. Et ma langue. ».

Pour la plupart des gens qui vont au cinéma, la représentation du Sud méditerranéen est filtrée par le cinéma de Pagnol, qui est un lourd héritage pour Guédiguian. Selon lui, « La Méditerranée, c’est une famille ». L’Estaque est pour lui ce qu’est Ithaque à Ulysse : il y retourne toujours plus vite. Le cinéma de Guédiguian peut se regarder comme un écho méridional au militantisme d’un Ken Loach en Angleterre : il assume les représentations d’aujourd’hui dans un cinéma social qui fréquente le conte. La fiction est pour lui un vrai pouvoir, qui invente des personnages et qui, pour une fois, peut les rendre heureux. Si les premiers films de Guédiguian, comme Dernier été, sont volontiers porteurs de mort, le réalisateur ne renonce pas à indiquer à ses rescapés de la « classe ouvrière » le chemin du paradis. Marius et Jeannette, qui se conclut par un plan d’un optimisme irrésistiblement émouvant, marque ce goût pour le bonheur. Son histoire d’amour entre 2 accidentés de la vie est un conte idéologique et populaire, interprété par une formidable troupe de comédiens, une nouvelle fois menée par Gérard Meylan et Ariane Ascaride, la compagne du réalisateur. Les acteurs jouent avec tout ce que ce verbe contient de part de jeu, au-delà même du goût de la théâtralité affichée par les personnages. On rit, on est complices, parfois un peu agacé de cette complicité qui nous caresse dans le sens du poil, mais soudain le film émeut, touche juste, d’une manière parfois inattendue. Le sous-titre « conte de l’Estaque » explicite combien Guédiguian ne se prétend pas réaliste. On parle ici de romance populaire, touchant au pittoresque, prenant les couleurs de la farce, renouant avec la tradition populaire et revendicative de la marionnette. Et en plus le décor y est naturel, structuré dans deux théâtres : minuscule courette typique de l’habitat traditionnel du Sud et qui alterne avec le décor d’une cimenterie désaffectée, immense, dominant la mer. Malgré les soucis des personnages le film reste léger, drôle, surprenant, même si, mine de rien, il parle de déportation, de Le Pen, Cézanne, Fidel Castro, du goulag, de la grève, la Sécurité sociale, l’islam, les fermetures de classes, le tout ponctué par le « favisme », « une maladie mortelle liée à l’ingestion de fèves fraîches » !! Le film résumera même le problème social en une phrase : « Cézanne a peint des paysages et des quartiers où les pauvres vivent. Mais les tableaux finissent sur les murs des riches. » Revalorisant « la fonction pédagogique, politique et sociale de l’Art », Guédiguian ne craint pas d’affronter, sur le mode du discours, des thèmes difficiles. Ce défenseur d’un cinéma profondément populaire, à l’image des classes sociales qu’il met en scène, suscite néanmoins le besoin de « réenchanter le monde ». Banal film en apparence qui a la saveur d’un plat relevé à l’ail.


Analyse d’une séquence d’une minute : La préparation de l’aïoli dans la cimenterie.

1h02min42sec
La scène se passe dans la cour de la cimenterie. Elle commence par un plan rapproché vers des mains qui s’activent au-dessus d’une table sur laquelle est posée, en bas à gauche de l’image, une assiette contenant un verre à pied ainsi qu’une coquille d’œuf. Au centre de l’image, les mains de Dédé tournent le pilon dans un mortier, les mains de Justin à gauche, ajoutent un jaune d’œuf ; à droite, Marius tend une bouteille d’huile d’olive et en verse dans le mortier. Tandis qu’à gauche Justin secoue ses mains, la caméra remonte vers la droite sur les bustes de Dédé et Marius, orientés respectivement à droite et à gauche du cadre.

Dédé (off). Où elle a vu qu’on mettait du fenouil dans l’aïoli ?
Les visages de Dédé et Marius apparaissent dans le champ. Marius regarde Dédé.
Marius
. Et si ça y plaît le fenouil ?
Le panoramique s’arrête sur Dédé et Marius en plan poitrine.
Justin (off). Eh attention !...
(Dédé tourne la tête vers Justin dont on voit le doigt pointé vers la gauche. Marius aussi regarde Justin. Un bref panoramique sur la gauche commence à recadrer sur Justin)
La vraie recette de l’aïoli, c’est : des haricots verts,
(Le panoramique s’arrête sur Justin de gauche, plan poitrine, de trois quarts face, le regard baissé sur ce que fait Dédé qui, lui, se tient sur la partie droite de l’image, de trois quarts face également, et la tête baissée. On entend le bruit du pilon dans le mortier.)
… des carottes, des patates, du chou-fleur, œuf dur, baccala, et basta.
Dédé (secouant la tête). Eh bien sûr !...
Marius (tandis que la caméra se dirige vers la droite). Eh vous me faites rire. Si ça lui plaît le fenouil, on s’en fout de la recette !
Dédé. Elle a qu’à mettre des radis aussi !
Le panoramique stoppe sur Marius qui s’adresse à Dédé.
Marius. Et pourquoi pas ?
Un temps. Dédé baisse la tête vers le mortier. Le panoramique repart vers la gauche.
Dédé. Ne me regarde pas, tu le fais tomber.
Justin (off). Non,
(On découvre le visage de Justin qui regarde vers Dédé.)
… tu la fais tomber !
Dédé (relevant la tête vers Justin). Quoi ?
Justin. Eh ben oui, attention… Toi, toi, tu dis…
(Le mouvement s’arrête sur Justin et Dédé)
… un aïoli,
(En regardant le mortier)
…on dit pas un aïoli, on dit une aïoli.
Dédé (baissant les yeux vers le mortier). Eh ben moi je dis comme je veux !...
(S’énervant)
Et me parle pas, tu le fais tomber !
Justin (regardant en bas). Oh putain ! Tu vas voir, si je la monte, moi, hé ! Hein !...
(Dédé secoue la tête en prenant à témoin Marius hors champ à droite, sans cesser de remuer)
Tu peux faire ce que tu veux autour,
(Avec des gestes)
… la danse du scalp, le grand écart… Et tu verras, elle monte !...
Le panoramique reprend vers la droite.
Dédé (en regardant Justin). Oh, les vieux, y faudrait les tuer dès la naissance, hein !
Marius (à droite, avec un geste du doigt vers Dédé). Ah, ça, ça, c’est méchant.
Dédé (relevant la tête brièvement vers Marius). Hé ! C’est pour rigoler, hé !
Marius (catégorique). C’est méchant.
Le panoramique s’arrête.
Dédé (plus fort, en relevant la tête vers Marius). Hé ! C’est pour rigoler !
Un panoramique commence à monter.
Marius (regardant vers le mortier). C’est méchant.
Justin (off). Attention, tu le coules !
Le panoramique accélère vers le mortier. La main de Justin, dans un geste, entre dans le champ.
Marius (off). Oh ! Tourne, tourne, tourne !
On voit apparaître le mortier dans lequel Dédé tourne le pilon. Dedans l’aïoli prend forme. A droite, Marius tient toujours la bouteille d’huile d’olive prête à verser.
Dédé (off). Eh ! Je tourne, j’arrête pas, bon !
Justin (off). Attention, et toi, c’est pas les chutes du Niagara…
(Le panoramique s’arrête. Le mortier est au centre de l’image)
… là que tu nous fais !
Marius (off). Tu veux que je te remplace ?
Dédé (off, sa voix devenant plus lointaine). Allez, verse, hé !...


Synthèse :

Cette séquence nous montre le débat crucial d’une recette capitale pour tout bon méditerranéen qui se respecte : la fameuse recette de l’aïoli, sujet à controverse entre les trois hommes qui la préparent. L‘ail est une plante qui prouve que les classes existent encore, au moins au niveau du goût. La cimenterie est ici un peu le cimetière de la classe ouvrière. La mise en scène de cette séquence devient un peu scénographie, dans un sens presque théâtral, sans grande technique, avec une caméra discrète dont Robert Guédiguian se sert juste pour enregistrer les mouvements et les paroles de ses personnages. J’ai choisi cette scène car je la trouve représentative du film, et de l’idée qu’on se fait de la vie dans le Sud méditerranéen. Cette séquence, ainsi que la suivante, m’a beaucoup amusée et c’est une de celle qui m’a le plus marquée. De plus cette simple scène suffit à résumer parfaitement les caractères des personnages masculins du film : le discernement de Justin, l’obstination de Dédé et la délicatesse de Marius.