Bienvenue dans le Sud...

Définition du sujet : « Une région, un pays : Le Sud »

Le Sud. Petit mot mais vaste signification désignant un des points cardinaux. En tirant ce sujet au sort, j’ai aussitôt pensé à la chanson de Nino Ferrer. J’ai donc cherché à savoir sa signification : parlait-il d’un pays, d’une région ? Après maintes écoutes je me suis rendue compte que ce n’était peut-être pas d’un lieu dont il parlait mais d’une époque, d’un passé et qu’il en évoquait la nostalgie. J’ai donc abandonné la définition du sud de la chanson de Nino Ferrer pour resituer ce terme dans un contexte purement géographique. La définition du Larousse est la suivante : Sud n. m. (de l’anc. angl. suth). 1. Un des quatre points cardinaux, celui qui est opposé au nord (syn. Midi). 2. Ensemble des régions d’un pays qui se trouvent le plus au sud relativement aux autres parties. 3. Au sud de, dans une région située plus près du sud, relativement à une autre. Wikipédia propose une double définition, plus intéressante pour mon sujet et l’élaboration de ma problématique : « le Sud, ainsi que le Midi, avec une majuscule, désignent une région méridionale (souvent : l’Occitanie par rapport à la France), comme dans la phrase « Arles est une ville du Sud » ; le Sud désigne par ailleurs, de façon approximative, les pays du tiers monde, dits en voie de développement, aussi appelés pays du Sud, en opposition aux pays du Nord, dits développés...» J’ai aussitôt abandonné cette seconde définition car, le sujet étant trop vaste, j’aurais eu pléthore de documents. Ce dossier s’attachera donc plus précisément à développer le Sud méditerranéen, soit le sud-est de la France, de la Provence à Marseille.


Recherche de la problématique : Les représentations de la vie dans le Sud méditerranéen français

La recherche de la problématique m’a demandé une longue réflexion : devais-je parler de l’hémisphère Sud de la planète (comme précédemment évoqué) ? Le thème « un pays, une région » m’a fait comprendre que je devais recentrer mon sujet sur une zone géographique plus limitée. Le choix du Sud méditerranéen est venu à mon esprit assez facilement. En effet le terme « Sud » m’évoque aussitôt des vacances en Provence. Par mon expérience personnelle, cette région ne m’est pas totalement inconnue, et le fait d’en savoir plus sur le sujet m’a permis d’établir une première problématique générale sur la vie et les déplacements dans le Sud. Je souhaitais construire mon plan autour de l’art de vivre méditerranéen, qui fait le charme de la région. Cependant je me suis vite rendue compte que je ne trouvais pas assez de documents me permettant de faire un plan structuré. J’ai donc ensuite choisi un plan sans élaborer de problématique d’abord. Ce choix s’est avéré très impertinent. En première partie je souhaitais faire un panorama général sur la Méditerranée (civilisation, géographie, climat, architecture...), en deuxième partie montrer en quoi le Sud est un secteur touristique, et enfin parler de l’art de vivre méditerranéen. Ce plan m’a vite fait tomber dans une impasse : premièrement il ne répondait à aucune problématique, et enfin il n’était sujet à aucune véritable réflexion de ma part. J’ai abandonné ce plan et me suis remise à la recherche d’une problématique qui me premettrait d’obtenir un plan efficace à la réflexion. Je me suis rendue compte que la pensée collective a beaucoup d’a priori sur la vie dans le Sud. J’ai donc choisi de vaincre ces a priori en proposant une problématique autour des représentations que nous avons de la vie méditerranéenne, et non pas autour de la vie en elle-même. C’est pourquoi, à travers les analyses de mon dossier, j’ai décidé de faire l’anti-thèse de mon actuelle première partie, c’est-à-dire montrer un monde omniprésent mais que beaucoup ignorent : celui de la classe ouvrière.


Justification du plan

Cette étude propose donc de développer, en prenant appui sur un panel de documents caractéristiques, les représentations, dans la pensée collective, de la vie dans le Sud méditerranéen français. Pour répondre à ma problématique le mieux possible, j’ai organisé mon plan de la façon suivante : en première partie sera abordé le fantasme du sud imaginé par les Français, la deuxième partie s’étendra sur l’art de vivre méditerranéen dont bénéficient ses habitants et ce qui fait réellement le charme de cette région. Puis nous verrons les différentes sortes de migrations vers le sud méditerranéen, qu’elles soient pour des vacances, pour y travailler ou pour la retraite.
Enfin dans la dernière partie j’analyserais les oeuvres me paraissant représenter au mieux la vie des ouvriers dans le sud, pour donner une vision de la vie méditerranéenne plus populaire et ainsi faire l’anti-thèse de ma première partie. Ainsi mon plan actuel me permet d’aborder des thèmes différents mais essentiels à la compréhension de la vie dans la région du Sud méditerranéen. La première partie s’attache à en montrer notre vision idéalisée, la deuxième partie : comment vit-on réellement dans le Sud ?, ensuite quelles genre de déplacements le Sud occasionne, en tant qu’ouverture portuaire, porte d’entrée pour les maghrébins, mais aussi lieu touristique, et lieu idéal de repos pour la retraite. Enfin ma dernière partie propose une vision plus populaire du Sud que peu connaissent.

CHAPITRE 1 : Le Sud Méditerranéen : le fantasme des Français

Introduction

La Provence évoque le pays chantant et verdoyant que Pagnol a mis tant de talent à décrire dans ses romans. Une nature douce et prolixe, traversée de rivières aux doux murmures s’écoulant le long des monts et vallées aux pentes douces où la vigne est reine.
Idyllique ? Sans aucun doute ! Dans cette contrée ensoleillée les senteurs paraissent plus fortes, les forêts plus vertes, la vigne plus riche, les mets plus savoureux, la vie plus douce, le plaisir... permanent !
La Provence ! Rien qu’avec ce mot, on a rapidement l’impression d’entendre le bruit des vagues de la Méditerranée et les stridulations des cigales, d’être allongé à l’ombre d’un olivier pour une sieste bercée par le mistral et les effluves de lavande en attendant l’heure de l’incontournable Pastis qui précède les nuits endiablées de la Riviera ou de Saint-Tropez... Fantasme pour les « nordistes», la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur s’incarne sur des plages de sable où se pratiquent le farniente. Espace hétérogène de côtes, de plaines, de collines et de montagnes, uni par la Durance, elle est la région de France la plus « une et diverse ». Telle que la décrit le poète Frédéric Mistral dans Lis Oulivado, elle demeure aujourd’hui « un éclair de beauté sur la mer de l’histoire ». La Provence intérieure est Provence paysanne, marquée par le rythme des travaux agricoles : vendanges, cueillette des fruits et moisson. Le littoral méditerranéen lui-même présente une succession de paysages contrastés, depuis les étendues planes et sablonneuses de la Camargue jusqu’aux échancrures maritimes de la Côte d’Azur, sculptée dans les massifs cristallins, en passant par les calanques aux eaux profondes qui entaillent les dalles calcaires de la Provence occidentale. Immortalisés par des peintres, des cinéastes des écrivains, ces paysages évoquent un pur désir de rêve aux Parisiens et autres Lillois. Ce n’est pas un hasard si la Provence est devenue, avant et plus que toute autre région, une « terre de festivals », donnant lieu, généralement l’été, à des créations originales prenant souvent pour cadre des monuments anciens rénovés pour les adapter à leur nouvelle fonction. Le cinéma a fait ici ses premiers pas avec les Frères Lumières et leur Entrée d’un train en gare de La Ciotat. L’attrait particulier que la Provence exerce sur les hommes explique en partie ce foisonnement de spectacles et de créations. Les peintres venus d’ailleurs y ont trouvé une inspiration durable. Peut-on traverser Arles sans évoquer le Hollandais Van Gogh? Peut-on parler de l’Estaque sans penser au Parisien Braque ou au Normand Dufy? Renoir a lui aussi passé l’ultime partie de sa vie dans sa maison de Cagnes. Matisse est venu mourir à Nice. L’oeuvre de Cézanne s’identifie aux paysages de ce pays d’Aix qui l’a vu naître et mourir.
L’Art et la vie se confondent ici, et ce n’est pas un hasard si la Provence reste le lieu préféré de beaucoup de Français et d’étrangers.
Bienvenue dans ce monde merveilleux!

CHAPITRE 2 : Le Sud réel et l’art de vivre méditerranéen

Introduction

La région provençale bénéficie d’une douceur et d’un art de vivre qui la caractérise. L’art de vivre méditerranéen consiste à puiser l’énergie dans les ressources qu’offrent la région, pour trouver l’harmonie parfaite entre le travail, les loisirs, la cuisine et les amis. Habiter en Provence, c’est avoir la chance chaque matin d’été, d’ouvrir sa fenêtre et de se laisser aveugler par une lumière transparente ; c’est calquer son quotidien sur le rythme du soleil, se réfugier à l’heure de la sieste dans la fraîcheur et la pénombre d’un olivier ou d’un figuier... Les jours de marchés en Provence, le spectacle concentre à lui tout seul l’âme du pays. C’est entre les étals, l’ambiance odorante et sonore, que se tissent les liens chaleureux et expansifs qui font la singularité des Méridionaux.
Dans une région qui, depuis l’Antiquité, est une terre de brassage, il est normal que la gastronomie française ait été influencée par des produits et des préparations venus de tout le bassin méditerranéen. Les Phocéens, qui fondèrent Massalia (Marseille) 600 ans av. J.-C., apportaient dans leurs cargaisons un ingrédient qui allait largement contribuer à la réputation de la cuisine provençale : la précieuse huile d’olive. Du soleil, une terre généreuse en légumes et herbes aromatiques, une population éprise de traditions : tels sont les ingrédients qui donnent à la cuisine provençale son identité. Par ailleurs, adopter le régime méditerranéen (aussi appelé crétois) permettrait de prolonger la longévité de 1 à 12%.
S’il fait rêver pour son soleil, ses villages enroulés sur leurs collines ou accrochés à leurs pitons rocheux, ses villas somptueuses nichées dans la verdure, le Sud séduit aussi pour ses couleurs où dominent le bleu, celui du ciel, de la mer, de la lavande, mais aussi l’ocre de la terre,des falaises de l’Esterel aux collines du pays d’Apt, le vert de la végétation : de la vigne, du platane, de l’olivier, et de l’amandier. Toutes ces couleurs ont su inspirer les peintres : « La couleur ici est vraiment très belle. Quand le vert est frais, c‘est un vert riche comme nous en voyons rarement dans le Nord, un vert apaisant. Quand il est roussi, couvert de poussière, il ne devient pas laid pour cela, mais le paysage prend alors des tons dorés de toutes nuances. (...) Ce qui me frappe ici, et ce qui fait que la peinture est attrayante, c’est la transparence de l’air.(...) A une heure de distance, on distingue la couleur des choses : le vert gris des oliviers, le vert de l’herbe des prairies par exemple, et le rose lilas d’un champ labouré. Chez nous on ne voit qu’une vague ligne grise à l’horizon ; ici la ligne est nette jusqu’à très loin, et la forme reconnaissable. Cela donne une idée d’espace et de ciel.» Vincent Van Gogh, lettre d'Arles à sa soeur, juin-juillet 1888.
L’art de vivre des Provençaux résulte d’un grand nombre de causes qui vont du climat ou du milieu naturel, en passant par leur patrimoine culturel ou architectural jusqu’aux savoirs, savoirs-faire et savoirs-être accumulés ou appropriés, au fil des générations successives.

CHAPITRE 3 : Les migrations vers le Sud

Introduction

L’espace provençal est, par nature, un espace ouvert sur des mondes proches ou lointains. L’accroissement des échanges permet et provoque la circulation des hommes. L’identité de la région se dessine alors, au rythme du brassage de population et du renouvellement des richesses. La Provence est en effet une porte ouverte sur le monde, grâce aux voies d’eau, mer ou fleuve. Depuis les origines, c’est ce qui fait sa fortunel. Dès l’établissement des Phocéens sur les bords du Lacydon, Marseille a été un centre de redistribution des marchandises, et des hommes, dans tout le monde occidental. On retrouve une influence italienne assez forte depuis les échanges faits avec le Piémont. En effet, bergers et bûcherons piémontais, ouvriers agricoles, venus également de Toscane, se retrouvent au XIXe siècle dans les campagnes provençales. S’amorce alors une migration de masse qui touche l’ensemble de la région. Au début du XXe siècle, Marseille et Nice sont de grandes villes italiennes. L’influence péninsulaire restera considérable en dépit du ralentissement du mouvement migratoire et de la «provencialisation» progressive de cette population. La dominante italienne n’a jamais exclu d’autres venues. Les Catalans ont mis pied sur la côte provençale dès le Moyen-Age. On parlait au XIIe siècle d’une Provence catalane, et c’est un Catalan, Michel Serre, qui domine la peinture religieuse à Marseille à la fin du XVIIe siècle. Grecs, Arméniens, Levantins viennent aussi, par leur présence déjà ancienne, rappeler le lien étroit que les ports provençaux ont entretenu avec la Méditerranée orientale. Ces gens-là sont du négoce, se mélant à la bourgeoisie portuaire,mais aussi au « populaire » (marins, dockers, commis...) alors que les riches « hivernants » de la Côte d’Azur, Russes ou Anglais, appartiennent souvent à une aristocratie « rentière ». Les accidents de l’histoire ont contribué à remanier la population provençale, à lui donner son caractère cosmopolite et ont favorisé le brassage des différentes communautés. Nice, Toulon et Marseille ont recueilli les réfugiés politiques des pays voisins. Depuis les années 1950, les ouvriers algériens se sont fixés à Marseille.
On assiste à présent à un toursime de masse, qui s’est développé depuis plusieurs décennies en direction de la Provence. Ce tourisme est considéré comme destructeur dans la mesure où il tend à valoriser une image folklorique, et quelque peu méprisante, de la Provence et de ses habitants. Il convient de rappeler que Marius de Pagnol a été tourné en studio, même si par la suite un café du Vieux-Port a été baptisé du nom légendaire du « Bar de la Marine ». Le talent de Pagnol n’est pas en cause, ses oeuvres faisant partie du patrimoine culturel provençal, mais la tendance est souvent de confondre la caricature réussie avec une réalité bien différente. Pourtant le tourisme est aussi créateur, car il redonne vie et richesse à des lieux ayant perdu leur activité ancienne. Le Sud attire par tous ses avantages, et les habitants du Nord de la France, ainsi que les étrangers, n’hésitent plus à venir y vivre, que ce soit pour le travail, la retraite ou les vacances.

CHAPITRE 4 : Analyses : Vers un Sud populaire

Introduction

Dans cette quatrième et dernière partie de mon dossier, je développe les analyses quatre documents que j’ai choisis. Le choix de ces documents n’a pas été facile, car je souhaitais les réunir sous un thème commun. C’est en voyant Marius et Jeannette que ce thème est apparu : le monde ouvrier dans le Sud méditerranéen. Afin de donner une cohérence à ce thème, j’ai donc choisi des documents traitant en partie ou entièrement du monde ouvrier. A propos de Nice n’offre par exemple qu’une vision très parcellaire de la classe ouvrière, mais c’est justement grâce au contraste évident qui est montré de deux classes très différentes qu’il m’a semblé interessant de l’analyser. La chanson de Massilia Sound System ne parle pas des ouvriers en eux-même mais montre une population marseillaise cosmopolite. « Sur les bords du cadre », quant à lui, nous offre une vision encore inexplorée et originale du travail des dockers sur le port marseillais.

Bien trop souvent on imagine une Provence peuplée de riches aristocrates flânant sur la Promenade des Anglais à Nice. Mais on oublie un peu ceux qui sont dans l’ombre, et dont seulement quelques réalisateurs, issus eux-mêmes du milieu, osent parler. Robert Guédiguian par exemple. Je veux parler bien sûr de la classe ouvrière, qui tient une place prépondérante dans la région. Marins, dockers, agriculteurs, autant de métiers indispensables, de main d’oeuvre essentielle à la cultivation de la richesse si spécifique de la Provence et de la Méditerranée.
Bienvenue dans l’univers provençal populaire !

Conclusion, vers un Sud inexploré?

Partis d’une définition un peu banale du Sud, nous l’avons étendue à des conceptions aussi hétéroclites que sa population est cosmopolite.

L’imaginaire collectif, bercé d’illusions et d’a priori, ne connaît pas tout sur tout et n’en a au mieux que quelques idées constructives. Par ce dossier, j’ai voulu montrer des visions différentes du Sud méditerranéen que celles que nous avions acquises dans cet imaginaire collectif. Nous connaissons tous un peu la Provence pour y avoir passé des vacances, ou pour avoir vu des films dessus, mais que connaissons-nous réellement de la vie là-bas? Les documents que j’ai choisis ne proposent en rien une vision différente de cela, mais permettent une ouverture d’esprit plus large, une réflexion qui donne envie d’aller voir de plus près cette vie méditerranéenne, toujours vantée de toutes parts, mais jamais réellement connue, sauf de ses habitants.

La région « Provence-Alpes-Côtes d’Azur » est l’héritière de la Provincia romaine. Son unité tient à sa situation, au bord de la Méditerranée et à la frontière de l’Italie, aux routes tracées par la Rhône et la Durance. Elle tient au climat, à un été chaud et sec, un fort ensoleillement, idéaux pour la vigne et l’olivier. Elle tient aussi aux hommes, à la tradition occitane qui survit encore, au sentiment profond d’originalité de la région, qui s’est souvent manifesté dans les comportements politiques qui l’ont opposé périodiquement à Paris. Elle tient enfin à cette nécessaire et constante ouverture sur le monde, qui se traduit aujourd’hui plus que jamais par un brassage de populations d’une exceptionnelle ampleur.

Ce dossier m’a avant tout transmis un apport personnel non négligeable : j’ai réalisé un véritable travail de documentaliste, et cette contribution m’a permis de me documenter sur une région que je ne connaissais en fait que très peu, malgré le fait que j’y ai souvent passé des vacances. Les souvenirs impérissables, car très profonds et ancrés dans ma mémoire, de ma propre expérience en Provence m’ont aidé à élaborer une première problématique, malheureusement faussée, et à orienter mes recherches. Ce dossier m’a aussi permis de découvrir des réalisateurs et artistes extraordinaires, entre autres Jean Vigo et Robert Guédiguian, que je regrette de ne pas avoir connu plus tôt.

En m’investissant le plus possible dans ce dossier, j’espère qu’il peut convenir aux professionnels en tant qu’outil de travail, et au grand public en tant que visionnaire d’un Sud quasi-inexploré

Le Sud méditerranéen, berceau de toutes les civilisations, de toutes les religions et de toutes les cultures, fait toujours rêver. Mais quels trésors cachent encore la « Mère Méditerranée »?

Sur les bords du cadre : Giovanni à quai

Présentation de la vidéo :

Les danseurs du Collectif Ex-Nihilo se sont prêtés au jeu de caméra de la réalisatrice Danièle Bertotto, maître d’œuvre de la série « Sur les bords du cadre ». Série composée de 4 fictions chorégraphiques : « Via Celestino » inspirée de la pièce « La Belle heure », « Félix fêlé d’éclats » sur le thème des Casseurs de pierre, « Giovanni à quai » ou l’histoire des dockers du port de Marseille et « Le bal d’Yvonne » en hommage à la danse dite populaire.
La combinaison de l’image et du mouvement trouve ici tout son sens car les personnages, les thèmes et les déclinaisons rythmiques des écritures filmiques sont créés à partir de la gestuelle de chaque danseur. La chorégraphie s’expose en pièces courtes dans des logiques de dénuement et de morcellement. Brèves apparitions où les images viennent nourrir un jeu de miroir sur le corps et la danse. La rencontre entre Laurence Langlois, chorégraphe, et Danielle Bertotto, vidéaste, se fait autour de la matière du corps. Ce sont les questions sur l’acte chorégraphique créé pour la caméra autant que l’écriture filmique de la danse qui nourrissent leurs échanges.
La série est coproduite par l’INA (création sonore pour Giovanni à quai et mixage son de la série) avec le concours du CNC et du ministère de la Culture et de la Communication (aide à la musique). Production déléguée : COPSI Vidéo Production (Eguilles). Diffusion : chaîne Muzzic. Ex-Nihilo


Danielle Bertotto (réalisatrice)

Après des études en Arts plastiques, elle s’initie à la vidéo-danse aux côtés d’Alberte Reynaud. Parallèlement, elle participe à la création de la Formation aux métiers de l’audiovisuel du CADASE à Toulon et intervient au sein de la FEMIS en qualité de monteuse. En 1991, elle obtient une résidence au TNDI-Chateauvallon pour la réécriture filmique d’une pièce chorégraphique de Chantal Tur (Compagnie Zita la nuit), « Verticale 12 heures », et participe à La Plaque tournante/Marseille de Mark Tompkins pour la partie audiovisuelle. A partir de 1996, elle développe ses projets personnels et finalise en 2001 une série de 4 films, « Sur les bords du cadre ». Deux des vidéos de la série sont primées : « Via Célestino » obtient une mention spéciale du jury de Ciné Ciné Courts en 1997 et « Félix fêlé d’éclats » reçoit la mention spéciale du jury-Grand Prix International de vidéo-danse 2002. En 2002 débute une recherche avec Laurence Langlois pour la création d’un spectacle chorégraphique et vidéo. La première approche de cette relation entre danse et image se traduit par une version de 20 min d’ « Iris » et devra donner lieu à un spectacle complet de 7 soli créés pour autant d’interventions vidéo. Elle tournera, toujours avec Laurence Langlois, courant 2004, une nouvelle fiction chorégraphique : « Un baiser pour ne pas tomber », solo pour 3 caméras sur le thème de la chute.


Laurence Langlois (chorégraphe)

Laurence Langlois commence sa carrière dans la Compagnie Myriam Dooge en 1989 puis travaille avec Karin Vyncke, collaboration qui durera 7 ans pendant lesquelles elle sera l’interprète de 6 pièces du répertoire et participera à 2 vidéo-danses. Elle rencontre Hervé Diasnas par son travail pédagogique et rejoint sa compagnie de 1996 à 2002 pour 5 créations dont « Le tabloïd des anges ». Dès 1994, en participant à la création du collectif Ex Nihilo (Marseille), elle explore de nouvelles formes d’interventions et expérimente les arts de la rue. Elle participe à 2 fictions chorégraphiques du projet « Sur les bords du cadre » de Danielle Bertotto. Depuis 1996, elle travaille sur le fragment chorégraphique, crée des soli et les transforme au fur et à mesure des rencontres. Depuis 2002, elle conçoit toujours avec Danielle Bertotto, le projet « Iris », interprète la première pièce chorégraphique de Serge Papiernik-Soyez, Samuel LII CH 6, et assiste Christine Corday sur ses soli.


Analyse de la séquence de début de « Giovanni à Quai »
(environ une minute)
Chaque plan, durant tous 4 à 5 secondes, est entrecoupé par un « blanc » avant de passer au plan suivant.

Plan 1
Plongée verticale panoramique sur le port. Caméra fixe. Des dockers arrivent et se serrent la main. Ils sont habillés comme dans les années 50. Bruits du port.

Plan 2
Plongée verticale panoramique sur le port. Caméra fixe. Deux dockers font quelques pas de danse. Des percussions se mêlent aux bruits du port.

Plan 3
Plongée verticale panoramique sur le port. Caméra fixe. Quelques dockers traversent le champ en dansant.

Plan 4
Plongée verticale panoramique sur la passerelle. Caméra en mouvement. Deux dockers sont dans le champ.

Plan 5
Même vue. Un des dockers est allongé par terre, un peu sous la passerelle, l’autre commence à danser sur la passerelle.

Plan 6
Même vue. Cinq dockers s’activent autour de la passerelle. Bribes de paroles en fond.

Plan 7
Même vue. Les dockers dansent sur la passerelle, et la caméra suit leur mouvement jusqu’à ce que l’on aperçoive le bateau.

Plan 8
Même vue. Des dockers marchent sur la passerelle pour aller sur le bateau. Le titre apparaît en grosses lettres blanches. On entend des bruits de percussions.

Plan 9
Plongée verticale panoramique sur le bateau.Les dockers s’y activent. On entend toujours les témoignages de dockers à l’accent marseillais prononcé en guise de fond sonore. « Moi j’ai travaillé 45 ans sur les quais. »

Plan 10
Plongée verticale panoramique sur la passerelle. Caméra fixe. Deux dockers dansent sur la passerelle. On entend toujours les témoignages en fond sonore.

Plan 11
Plongée verticale panoramique sur la passerelle. Caméra fixe. Trois dockers dansent sur la passerelle. On entend toujours les témoignages en fond sonore.

Plan 12
Plongée verticale panoramique sur la passerelle. Caméra fixe. Trois dockers dansent sur la passerelle. L’arrière-plan est entremêlé inégalement d’images d’archives du port en noir et blanc. On entend toujours les témoignages en fond sonore.

Plan 13
Plongée verticale panoramique sur le quai. Caméra en mouvement. Des dockers transportent de gros sacs rouges et se les font passer tout en dansant. Ce sont les bruits de pas sur la passerelle qui font office de percussion. L’arrière-plan est entremêlé inégalement d’images d’archives du port en noir et blanc. On entend toujours les témoignages en fond sonore.


Synthèse :

A travers les images d’archives et les témoignages, mis en parallèle avec la chorégraphie effectuée par les dockers, on nous montre une vison du travail sur les quais encore inexplorée et pourtant à la signification profonde.
On y voit des dockers joyeux, dansant tout en travaillant, mêlant plaisir et sueur. Leur activité semble légère, aussi simple et entraînante que la danse qu’ils accomplissent. On remarque un véritable travail d’équipe, un soutien morale et physique entre eux, effectuant des portés de danse simples mais enjoués. Ils ont des regards complices entre eux, et leur complicité se ressent dans les gestes qu’ils effectuent, autant dans leur travail que dans leur danse. Il y a une sorte de solidarité au sein de ces ouvriers. Un des témoignages le prouve : « poser la question de la solidarité au cœur même de la classe ouvrière, … non, de la population. »
La passerelle symbolise le passage, l’accès à la connaissance de ce monde ouvrier dans les années 50, mais elle est aussi le lien entre la danse et leur travail.
J’ai choisi d’analyser cette séquence de « Sur les bords du cadre » car elle reflète idéalement la classe ouvrière du Sud méditerranéen, une classe joyeuse, heureuse de vivre et qui ne se plaint pas, tout comme dans « Marius et Jeannette ». Ces ouvriers en sueur, mais à l’air radieux illuminé par le soleil, dansent comme ils travaillent, tout naturellement. Cela pourrait pourtant paraître surréaliste et c’en est loin d’être le cas. Par ailleurs les images d’archives et les témoignages prouvent un fond documenté, une part d’authenticité dans ce film de « vidéo-danse ».
L’accent des témoins est chantant et s’impose sur les bruits assourdissants du port, de la passerelle, mêlés aux percussions. La danse évoque ici l’effort, l’acharnement au travail des ouvriers, s’y dévouant corps et âme.
La dernière scène de « Giovanni à quai » nous montre d’ailleurs des dockers allongés par terre, à même le béton du quai, épuisés, sous le soleil brûlant d’un après-midi à Marseille.

Ma ville est malade



Portrait d’un groupe engagé :

Massilia Sound System est un groupe de « rub a dub », mode d’expression proche du rap, dont les racines se trouvent en Jamaïque. Ils font leurs premiers pas en 1984. Leur nom est une fusion entre leur origine marseillaise (Massilia veut dire Marseille en latin) et leur culture musicale qui tourne essentiellement autour du reggae (Sound System veut dire sono ambulante en Jamaïque). Les trois fondateurs sont Tatou, compositeur et improvisateur de choc sur scène ; Jali, tchatcheur d’origine sicilienne pour qui les mots se débitent plus qu’ils ne se disent et Goatari, homme du son et des machines.
C’est en s’apercevant que les rastas jamaïcains chantaient un mélange d’anglais et de patois local que ces fadas de reggae ont eu l’idée d’ajouter de l’occitan à leurs textes en français. Mais ce qui aurait pu n’être qu’un gimmick exotique était en fait une véritable profession de foi pour ces natifs de Marseille à l’inspiration gorgée de soleil et d’huile d’olive.
La région provençale et ses attributs ne sont plus que des symboles identitaires propres à réunir des hommes et à enrichir leurs moyens de communication vers l’extérieur. Reprenant une tradition de troubadours chère à la culture méditerranéenne, ils utilisent la joute verbale en langue provençale et chroniquent ainsi la vie de leur cité. Ce patois local leur permet d’affirmer leur identité.
20 ans maintenant, que ces agitateurs font monter l’aïoli. Tout comme leurs cousins toulousains des Fabulous Trobadors, les Massilia Sound System donnent du goût à une chanson française dont la mainmise parisienne est souvent bien fade. A l’origine, Goatari, Jali et Tatou montent leur groupe et animent des Sound System dans Marseille. De fêtes de quartier en fêtes de villages, ces baladins atterrissent à Toulouse en 1987. Ils y croisent les Fabulous Troubadors, s’associent et fondent Roker Promocion avec laquelle ils publient leur première cassette en 1989. A cette époque Lux Botté, Gari Grèu et Janvié viennent les rejoindre. Avec cette formation, ils sortent des frontières occitanes et enflamment les scènes de tout le pays adeptes de ce raggamuffin occitan. En novembre 1991, une maquette est prête. Un CD peut donc sortir. L’album s’appelle « Parla Patois » et profite d’une diffusion nationale. Le résultat est gai, plein d’humour et on y vante le PIIM, un « parti indépendantiste internationaliste marseillais » invention délirante de la bande. On y parle aussi football, fêtes en tout genre, et vie de quartier.
Souvent offensifs, les Massilia défendent une certaine idée de la cité phocéenne, même s’ils reconnaissent à contrecœur que tous les Marseillais ne partagent pas leurs idées. Leur énergie est grande et leur message à la jeune génération quasi politique. Leur mot d’ordre pourrait être : allons de l’avant et forçons les choses.
Après quelques voyages, en Inde et en Afrique, leur musique s’offre un léger dépaysement, mais peu enclins à un retournement radical de leurs positions, Massilia Sound System sert une cuisine familiale qui sent bon le sud de la France, avec simplement quelques épices importées des quatre coins du monde.
Au printemps 98, Massilia quitte Vitrolles pour cause d’incompatibilité politique avec la nouvelle mairie d’extrême droite et s’installe à La Ciotat. Collectif quasi familial, le réseau Massilia investit une maison au milieu des oliviers. Fêtes impromptues, concours de pétanque ou ateliers d’écriture pour rappeurs, dans une effervescence conviviale, ils offrent un lieu propice à la création pour tous les jeunes artistes de la région.
Reggae, ragga, tchatche sont à jamais les éléments constitutifs de leur répertoire, le tout sur des textes joyeux et engagés à la fois.
Entre délire et conscience politique et sociale, les Massilia Sound System œuvrent pour un mouvement musical pluriculturel, espérant que cela pourra un jour s’appliquer aussi à la société dans son ensemble.


Discographie

• Rude et souple (démo K7)
• Vive le PIIM (démo K7)
• Parla Patois (1992)
• Chourmo (1993)
• Commando Fada (1995)
• On met le òai partout (live, non réédité), 1996)
• Aïolliwood (1997)
• Marseille London Experience (1999)
• 3968 CR 13 (2000)
• Occitanista (2002)
• Massilia fait tourner (live, 2004)
• Un album en cours d’enregistrement sortira l’automne 2007


Membres du Groupe

• Jali : MC
• Tatou : MC
• Gari Greu : MC
• Lux B : MC
• DJ Kayalik : DJ, compositeur
• Janvié : Keyboards
• Blù : Guitare
• Goatari : DJ, claviers, boîte à rythmes (Ancien membre)


Une chanson virulente aux propos dénonciateurs :

De retour d’un voyage en Inde, les Massilia Sound System concoctent un nouvel album intitulé « Aïollywood » en référence à « Bollywood » le Hollywood indien. Ils y découvrent que la musique de film a une place prépondérante et se plaisent à imaginer un doux mélange entre leur ragga et ce folklore si lointain. « Ma ville est malade » se trouve dans cet album.
A travers un son rap teinté d’orient, Massilia Sound System revendique dans « Ma ville est malade » le fait que les immigrants font partie intégrante de la ville de Marseille et qu’ils sont rejetés par le Front National. Marseille est un port, ou plutôt une porte, d’entrée pour les immigrants, de sortie pour ceux qui fuient leur ville « malade ». Accepter les immigrés fut aisé au début, mais depuis une vingtaine d’années le Front National remet les valeurs hospitalières de la France en question, ce qui pose problème à Massilia Sound System. Ils dénoncent cette politique outrageante pour la France, surtout pour le Sud méditerranéen : « La Provence a des valeurs, j’ai dit l’hospitalité ». A travers ces propos virulents, ils posent la question de l’identité des Marseillais : ils ne peuvent pas, moralement parlant, rejeter les leurs, ceux qui ont fondé leur ville, et qui ont fait d’elle ce qu’elle est aujourd’hui : un brassage merveilleux de cultures, de langues et d’épices venues de partout. Massilia cherche à créer une prise de conscience de la population, même s’ils savent que politiquement rien ne pourra changer. Cette prise de conscience, dans un contexte politique pénible, s’organise grâce à des actions folkloriques au niveau local, comme un concours de pétanque ou un loto, car chacun peut se sentir au même niveau, la solidarité peut faire changer les choses dans la tête des gens, et tous les mettre sur le même pied d’égalité, noirs ou blancs. Massilia a dit dans une interview : « On va faire un loto parce que tout le monde sait y jouer. La mamie, comme le jeune, sait qu’il faut poser le haricot sur le numéro 3 : les différences de capacité disparaissent et quelque chose peut se déclencher entre eux. D’un seul coup, tout le monde habite au même endroit, alors que jusqu’à présent, chacun était sur une planète différente. Ces actions-là sont payantes. Dans ce cadre, chacun se rend compte qu’il a des idées (…) C’est comme aller au stade. À Marseille, c’est le seul lieu vraiment folklorique qui existe. Tout le monde est capable de crier « Allez l’OM ! », le chauffeur de taxi, le petit minot des quartiers nord, le médecin, etc. Ces gens ne se voient peut-être qu’au stade, mais finalement ils se côtoient. Ça peut paraître dérisoire, mais ça ne l’est pas tant que ça, parce que c’est de la vie.»
Les Marseillais, réunis devant leur culture et les mêmes choses qui les touchent tous, deviennent une équipe dans le rêve de Massilia Sound System, et chacun trouve sa place, et la garde !


MA VILLE EST MALADE

Ma ville tremble, ma ville est malade
De Bonneveine jusqu’aux Aygalades.

La grande ville, où je suis né,
Appelée Marseille par les Français
Porte de l’Afrique dès l’antiquité
Elle fut construite par des immigrés
Depuis bien longtemps elle vit en paix
Dans le respect de toutes les communautés
Mais depuis dix ans, dans la tête des gens,
De drôles d’idées commencent à germer.

Ma ville tremble, ma ville est malade
De Bonneveine jusqu’aux Aygalades.
Ma ville tremble, ma ville est malade
De Bonneveine jusqu’aux Aygalades.

Il y a des Arméniens, il y a des Algériens,
Il y a des Tunisiens, il y a des Italiens,
Il y a des Marocains, il y a des Comoriens
Ici se trouve rassemblé presque tout le genre humain
La cité a été bâtie grâce à ces millions de mains
Tout le monde vit sa vie et beaucoup s’y trouvent bien
La culture de ce pays qu’on appelle Occitanie
A toujours su intégrer les gens de tous les pays
Vous n’êtes pas obligés de croire tout ce que je dis
Mais je reprends mon argument, je développe, je poursuis.

Ma ville tremble, ma ville est malade
De Bonneveine jusqu’aux Aygalades.
Ma ville tremble, ma ville est malade
De Bonneveine jusqu’aux Aygalades.

Les gens venus de partout qu’on appelle immigrants
Nous en avons pour voisins, certains sont nos grands-parents
Ils font leur bout de chemin et un jour ont des enfants
D’adorables chérubins avec leurs jolies mamans
Mais vous savez, les enfants ça va toujours grandissant
Et voilà qu’un beau matin le bambin fête ses trois ans
Il va nous parler enfin, toute la famille attend
Il ménage son effet, en fait il prend tout son temps
Il ouvre la bouche et dit, «maman j’ai faim» avec l’accent
Et pourtant…

Ma ville tremble, ma ville est malade
De Bonneveine jusqu’aux Aygalades.
Ma ville tremble, ma ville est malade
De Bonneveine jusqu’aux Aygalades.

Tous les samedis au Stade Vélodrome
Tous les supporters s’écrient comme un seul homme
« Allez l’O.M.! On est tous avec toi
Allez l’O.M.! Les Marseillais seront toujours là ! »
Pour qu’une équipe fonctionne, il faut qu’elle soit soudée
Et ça je crois bien que personne ne peut le contester
Le jeu ouvert c’est bien mieux que de s’enfermer
Si c’est pas clair degun ne peut s’y retrouver.
Monsieur le Maire c’est à vous que je viens parler
C’est d’un repère dont ont besoin les Marseillais
Respirez l’air je crois bien qu’il est pollué
Dos à la mer nous ne pouvons plus reculer
Alors lançons un grand débat parlons d’identité
Montrons à tous ces pébrons que nous savons ce que c’est
La Provence a des valeurs, j’ai dit l’hospitalité
Oublions le doute et la peur c’est de l’avant qu’il faut aller.
Et pourtant…

Ma ville tremble, ma ville est malade
De Bonneveine jusqu’aux Aygalades.
Ma ville tremble, ma ville est malade
De Bonneveine jusqu’aux Aygalades.

1e, 2e, 3e, 4e génération
Nous avons tous grandi autour du même Lacydon
1e, 2e, 3e, 4e génération
Nous allons tous au stade chanter les mêmes chansons
1e, 2e, 3e, 4e génération
Marseille a des problème
s, ensemble on a les solutions
1e, 2e, 3e, 4e génération

Si l’on aime notre ville, ensemble disons non au Front.
Si l’on aime notre ville, ensemble disons non au Front.
Si l’on aime notre ville, ensemble disons non au Front.
Si l’on aime notre ville, ensemble disons NON !

Ma ville tremble, ma ville est malade
De Bonneveine jusqu’aux Aygalades.
Ma ville tremble, ma ville est malade
De Bonneveine jusqu’aux Aygalades.

A propos de Nice, vers un cinéma social.



Présentation du réalisateur et du film :

1929. Jean Vigo réalise son premier film, À propos de Nice, un documentaire muet de 22 minutes. En un montage prodigieux il met à nu l’âme d’une ville, opposant une bourgeoisie autosatisfaite à la misère prolétaire, le grouillement du carnaval à l’immobilité des cimetières…

Fin 1928, lorsque Jean Vigo débarque à Nice avec l’intention saugrenue d’y tourner un documentaire zoologique, il n’est rien de plus qu’un cinéaste amateur parmi d’autres. Ses idées sur le 7ème art sont mal assurées ; sa technique, rudimentaire (il filme quelques plans d’animaux et les rate tous sauf celui d’une autruche) ; son point de vue sur la station balnéaire des milliardaires, imparfaitement « documenté ». Le déclic lui vient, semble-t-il, du contraste qu’il perçoit entre la mascarade des oisifs se pavanant au soleil et le prolétariat obscur du Vieux Nice, les uns trimant durement pour le futile divertissement des autres. Nice devient alors le lieu clos d’une âpre lutte de classes. L’engagement politique du fils de l’anarchiste Almereyda fait le reste. Aidé d’un jeune opérateur, Boris Kauffman, rencontré l’année suivante à Paris, Vigo va reconsidérer son projet de fond en comble : il entreprend, en fait de reportage animalier, un pamphlet virulent contre cette faune d’estivants désœuvrés, pendant qu’à l’arrière plan le monde ouvrier s’active dans les ruelles étroites où le soleil ne pénètre jamais. Le tout sur fond de carnaval, de baccara et de cimetières.

Jean Vigo et Boris Kauffman, armés d’une caméra cachée dans un carton à chapeau, enregistrent des images inoubliables, toujours l’œil aux aguets et la malice en éveil : le fourmillement grouillant de la promenade des Anglais, palmiers géants dressés vers le ciel, débauche de confettis et de cotillons, foule trépidante se pressant autour des chars, insouciance d’une classe qui s’enivre dans le vertige d’un plaisir éphémère tandis que des navires de guerre mouillent dans la baie. Pénétrant plus au cœur de la cité, ils font craquer le vernis factice des parades mondaines, pour nous infliger, tel un coup de fouet, la vision des balayeurs de rues, des laveuses de linge, des cueilleuses de fleurs, des gosses affamés jouant sur le pavé et des rigoles d’eau croupie au bord des trottoirs, contrastant lugubrement avec la blanche écume de la Méditerranée effleurant à intervalles réguliers le rivage… Aux plans généraux de la ville vue d’avion répondent les contre-plongées coquines de passantes enjambant une bouche d’égout. L’envers vaut l’endroit ou plutôt le démystifie férocement. Quelques gags seront ajoutés pour faire bonne mesure : une promeneuse comparée à la fameuse autruche du zoo,le cortège d’un enterrement qui démarre en trombe, un cireur de chaussures s’acharne sur un client pied nus… Pour le réalisateur son film sera un « documentaire social ou plus exactement un point de vue documenté. » En mars 1930, Vigo et son associé auront tourné 4000 mètres, qui seront montés. Le travail sera achevé début mai. 28 mai 1930 : à Paris les film est sur l’écran de l’ancien théâtre de Jacques Copeau, le Vieux-Colombier, devenu cinéma d’avant-garde. Le 14 juin, Vigo présente son texte programme : Vers un cinéma social. En octobre, le film sort aux Ursulines, et là, la critique est déroutée…

Dans chacun de ses films, Vigo, que ce soit apparent ou pas au premier regard, nous parle de lui-même, et de ce qu’il connaît. A propos de Nice est donc une sorte de carnet de notes, et presque un fragment de journal intime, sur une ville qu’il parcourt quotidiennement, où il vit, et qui est l’une des occasions habituelles de ses réflexions. Ils nous esquisse un portrait de Nice, comme si c’était son propre portrait, dans la mesure où s’y révèle moins un caractère qu’une attitude, critique, accusatrice, irrévérencieuse, ironique, blagueuse, une manière de voir parfois cruelle et parfois attendrie ou amusée : répertoire partiel, en somme, des composantes de sa personnalité qui se confirmera dans les films suivants mais en s’y manifestant avec une richesse et une humanité accrues par tout ce que permet la fiction par rapport au document.
A propos de Nice est en tout cas pour Vigo l’occasion d’indiquer ce qui sera l’une des directions de son regard, de donner le ton sur ce qui sera son propos sur la vie et sur l’homme.

Ce que Jean Vigo fait subir à sa réalité, il l’impose à la réalité même. Dépassant l’autobiographie, il va bien au-delà du réalisme. Trop longtemps et trop sommairement classé parmi les cinéastes « réalistes », il ne l’est que très partiellement et superficiellement, dans la mesure ou certains aspects de ses films peuvent se rattacher directement à un aspect équivalent de la réalité objective : le mode de vie de certaines catégories sociales dans A propos de Nice en est un exemple. A propos de Nice n’est pas seulement un documentaire mais aussi un premier film, ainsi l’audace créatrice y est moins grande qu’elle ne le sera dans ses films suivants, et peut donc être considéré comme « réaliste » sans s’en tenir pour autant à une simple fonction de constat. Vigo, qui l’a intitulé « à propos » et qualifié de « point de vue documenté », attire du même coup notre attention sur ce qui différencie sa démarche de la démarche réaliste classique : son film, au document, ajoute le « point de vue », et nous donne à voir une réalité qui n’est pas objective, car pas seulement décrite, mais « vue à travers un tempérament » et surtout à travers une intelligence. Il est la première tentative de ce « documentaire social » voulu par Vigo et qui, dit-il « se distingue du documentaire tout court et des actualités de la semaine par le point de vue qu’y défend nettement l’auteur ». « Ce documentaire social, ajoute-t-il, exige que l’on prenne position, car il met les points sur les i. S’il n’engage pas un artiste, il engage du moins un homme. Ceci vaut bien cela. » Et pour finir, « le but sera atteint si l’on parvient à révéler la raison cachée d’un geste, à extraire d’une personne banale et de hasard sa beauté intérieure ou sa caricature, si l‘on parvient à révéler l’esprit d’une collectivité d’après une de ses manifestations purement physiques. Et cela avec une force telle que désormais le monde qu’autrefois nous côtoyions avec indifférence s’offre à nous malgré lui au-delà de ses apparences. Ce documentaire social devra nous dessiller les yeux. » Qui mieux que Jean Vigo pour parler de l’œuvre de Jean Vigo… ? Nous voici bien loin d’un réalisme conventionnel et même si l’on admet avec l’auteur que A propos de Nice « n’est qu’un modeste brouillon pour un tel cinéma », nous mesurons à quel point les intentions de Vigo s’écartent de la seule transcription du visible et vont dans le sens de ce réalisme intégral qui correspond à une recherche sans cesse plus exigeante de tous les visages du réel. Pourtant Jean Vigo était tout naturellement surréaliste (sans appartenir au groupe des surréalistes), dans la mesure même où sa passion exigeante de la vie lui interdisait de s’accommoder des limites que les conventions et l’habitude tentent d’imposer à notre vision et à nos actes. Dans ses films s’exprime parfois un surréalisme primitif, pour qui la liberté, sous toutes ses formes, ne souffre pas de discussion. Le surréalisme n’est pas toujours, chez Vigo, à l’état pur, dans A propos de Nice il l’est inconditionnellement. Il est d’ailleurs considéré par certains comme un poème surréaliste : « les images chocs, les rapprochement osés et insolites n’étaient pas fait pour déplaire à Vigo qui avait très manifestement subit l’influence du surréalisme » (A. Breton, Manifeste du Surréalisme)

Vigo ne sait pas encore que son destin même est inscrit en filigrane de ces images, dont la cocasserie grinçante laisse un goût amer, un goût de cendres. Il ne sait pas non plus qu’il n’a plus que quelques années à vivre, le temps de ciseler deux purs joyaux de l’histoire du cinéma : Zéro de conduite et L’Atalante.


Analyse d’une séquence de 42 secondes : Les laveuses de linge dans le Vieux Nice

Plan 1 :
10 min 52

La caméra, fixe, pointe vers le ciel, mais de hauts bâtiments ne laissent qu’entr’apercevoir une tranche de ciel. On remarque des draps suspendus aux fenêtres qui volent avec le vent. La musique est jouée par un accordéon, un air un peu gai mais lent, tranquille.

Plan 2 :
10 min 59

La caméra en mouvement montre toujours le ciel presque caché par d’autres bâtiments. Elle descend progressivement vers le bas des bâtiments, d’où on peut voir aussi du linge qui sèche aux fenêtres. On commence à voir des ruelles sombres au pied des bâtiments. L’accordéon joue toujours le même air mais plus on descend vers les ruelles et plus la musique s’attriste

Plan 3 :
11 min 10

La caméra, fixe, pointe encore vers le ciel, mais on peut voir les bâtiments, qui s’avèrent être de vieilles maisons, de plus près. Du linge sèche encore aux fenêtres. Toujours la même musique.

Plan 4 :
11 min 12

La caméra descend beaucoup plus rapidement en longeant le mur des maisons, et nous emmène droit dans une ruelle sombre où on voit les laveuses de linge en pleine activité. La musique change de ton et utilise des sons plus sombres.

Plan 5 :
11 min 19

La caméra, à nouveau fixe, est au niveau des mains des laveuses de linge, et on les voit tremper et sortir le linge de l’eau, s’activer, le frotter énergiquement. La musique redémarre un peu plus vivement, vers l’air du début de la séquence.

Plan 6 :
11 min 27
La caméra nous offre à nouveau une plongée vers le ciel, à partir du pied d’une maison, où l’on voit le linge qui sèche aux fenêtres et qui vole au vent. La musique reste la même.

Plan 7 :
11 min 30

La caméra revient au niveau des mains des lessiveuses, toujours aussi actives. La musique reste la même.

Plan 8 :
11 min 36

La caméra en mouvement filme le ciel vu des ruelles et le linge toujours séchant aux fenêtres des maisons. La musique reste la même.


Synthèse :

Après avoir vu dans les séquences précédentes l’amusement des bourgeois sur la promenade des Anglais ensoleillée et vivante, Jean Vigo nous emmène dans un univers nettement plus sombre et plus rude. Le contraste entre le ciel bleu, la mer, et ces ruelles sombres où le jour passe difficilement est flagrant et nous montre le côté obscur de la ville : le Vieux Nice. En nous dévoilant cela, Jean Vigo dénonce le fossé entre les différentes classes sociales : pendant que les uns triment dans l’ombre, les autres se dorent la pilule au soleil, ne se souciant guère de ce qui peut se passer non loin d’eux, dans le Vieux Nice.
Contrairement aux séquences précédentes, le réalisateur ne s’attarde guère sur les visages des laveuses de linge mais plutôt sur leurs mains, actives. Les visages blasés des bourgeois que nous voyions juste avant nous semblent à présent bien ingrats : ils ne se rendent pas compte du bonheur qu’ils ont d’être si oisifs. En effet leurs visages ne montrent ni sourires et encore moins souffrance : ils sont indifférents à leur bonheur car ne s’en rendent pas compte et ne savent pas en profiter. Si les visages des lessiveuses ne sont pas montrés c’est sans doute pour nous laisser imaginer des travailleurs dont la figure importe peu, puisque ce sont les mains qui travaillent et qui nous indiquent les émotions et les sentiments de ces laveuses de linge.

Marius et Jeannette, un conte de l’Estaque.



Synopsis

Le Monde... Marseille... Quartiers Nord... L’Estaque. Marius et Jeannette sont au milieu de leur vie.
Marius vit seul dans une immense cimenterie désaffectée qui domine le quartier. Il est le gardien de cette usine en démolition. Jeannette élève, seule, ses deux enfants avec un maigre salaire de caissière. Elle habite une minuscule maison ouverte sur une courette typique de l’habitat méditerranéen. Ses voisins de cour, Caroline et Justin, Monique et Dédé, l’encouragent avec force éclats de rire et coups de gueule. La rencontre de Marius et de Jeannette ne sera pas simple car, outre les difficultés inhérentes à leur situation sociale, ils sont blessés... Par la vie.
Le film décrit la renaissance de leur capacité à être heureux.
Cette romance populaire se terminera bien car... Il le faut.
Il faut réenchanter le monde.


Fiche technique

• Titre : Marius et Jeannette
• Réalisateur : Robert Guédiguian
• Scénario : Robert Guédiguian et Jean-Louis Milesi
• Musique originale : Jacques Menichetti
• Chansons : Il pleut sur Marseille et La Farandole, paroles de Jean-Louis Milesi et musique de Jacques Menichetti
• Musiques additionnelles : Eduardo Di Capua (O sole mio), Johann Strauss (Le Beau Danube bleu), Antonio Vivaldi (Les Quatre Saisons)
• Directeur de la photographie : Bernard Cavalié
• Ingénieur du son : Laurent Lafran
• Perchman : François Domerc
• Mixeur son : Jean-Yves Rousseau
• Décorateur : Karim Hamzaoui
• Maquilleur : Maïté Alonso
• Assistant réalisateur : Jacques Reboud
• Monteurs : Bernard Sasia, Valérie Meffre, Lydie Ferran
• Société de production : Agat Films & Cie
• Producteur : Gilles Sandoz
• Directeur de production : Malek Hamzaoui
• Distributeur d’origine : Diaphana
• Pays d’origine : France
• Format : Couleur - Son stéréophonique - 35mm
• Genre : Comédie dramatique
• Durée : 105 minutes
• Date de sortie : 19 novembre 1997 en France


Distribution

• Ariane Ascaride : Jeannette
• Gérard Meylan : Marius
• Pascale Roberts : Caroline
• Jacques Boudet : Justin
• Frédérique Bonnal : Monique
• Jean-Pierre Darroussin : Dédé
• Laëtitia Pesenti : Magali
• Miloud Nacer : Malek
• Pierre Banderet : Monsieur Ebrard


Présentation du réalisateur et du film :

Marius et Jeannette est un film militant, un film d’amour, réalisé par Robert Guédiguian, réalisateur pugnace, et une belle équipe d’acteurs, tous amis du réalisateur, pour un cinéma social et politique.

Au départ Marius et Jeannette devait être un téléfilm, produit pour l’unité de fiction de Pierre Chevalier sur Arte. Le budget prévu est de 2,5 millions de francs (presque 390000 euros), le tournage de 23 jours et la diffusion prévue pour juin 1997. En avril le film est sélectionné pour le festival de Cannes et sera ainsi distribué dans les salles, obtenant un déclassement pour entrer dans la catégorie des « films cinématographiques ». Le film a eu 9 prix en France et 4 à l’étranger, dont le Prix Louis-Delluc « Meilleur film » en 1997 et le César du cinéma de la meilleure actrice pour Ariane Ascaride en 1998.

Robert Guédiguian, cinéaste français a jusqu’ici borné son exploration à une seule ville : Marseille. Borné n’est peut-être pas le mot approprié, tant tout ce qui travaille notre société traverse avec la même violence chacun de ses films. Si le port de l’Estaque est immortalisé par les peintres cubistes et impressionnistes, il reste en effet la référence fondatrice des fictions de Guédiguian. On se rend compte que ce qui fait l’intérêt des films de Guédiguian, sa fraîcheur, sa turbulence, sa véracité sociologique ne se ternit pas, bien au contraire, au fil des années et des titres suivants. Cet enfant de l’Estaque, aux racines arméniennes et allemandes, bien avant que ne soit à la mode les films sur les banlieues, va exprimer l’univers marginal des quartiers nord de Marseille. A l’aide d’une mise en scène minimaliste, en accord parfait avec ce monde dur et attachant, Guédiguian va se révéler comme un héritier particulièrement pertinent et fécond de Pasolini, parfois revu par Pagnol à travers des dialogues savoureux par leur naturel même. Qu’importe. Guédiguian n’est pas Pagnol. Dans « Marius et Jeannette », il y a Marius, mais pas d’Escartefigue ni de Monsieur Brun, et encore moins de César. Dans « Marius et Jeannette », il n’y a pas de Fanny, mais il y a Jeannette et ce n’est pas le genre de femme à aller se jeter dans les bras du premier fortuné Panisse venu pour élever ses deux enfants. Outre ses immenses qualités créatrices, Guédiguian va s’engager dans une expérience économique qui le situe comme un des rares en France à produire avec son équipe un cinéma « terroir », petit monde hyperlocalisé, mais touchant, grâce à ses tonalités méditerranéennes, à l’universalité même. « Tourner ailleurs qu’à Marseille serait pour moi comme écrire dans une langue étrangère » prétend Robert Guédiguian. Et rares sont les cinéastes qui savent prendre le pouls de leur quartier d’enfance et provoquer tour à tour et le rire et les larmes, en livrant leurs espoirs, leurs émotions, leurs convictions avec autant d’intelligence et de générosité. « Marseille ne m’inspire pas, a dit un jour Guédiguian, elle me fonde. Comme tous les Marseillais, mes origines sont mêlées. Mais comme tous les Marseillais, mes origines me préoccupent peu. Lorsqu’on me demande qui je suis, je réponds : « Je suis un fils d’ouvrier, né à l’Estaque, dans les quartiers nord de Marseille. » Voilà mon identité, ma culture et ma morale. Et ma langue. ».

Pour la plupart des gens qui vont au cinéma, la représentation du Sud méditerranéen est filtrée par le cinéma de Pagnol, qui est un lourd héritage pour Guédiguian. Selon lui, « La Méditerranée, c’est une famille ». L’Estaque est pour lui ce qu’est Ithaque à Ulysse : il y retourne toujours plus vite. Le cinéma de Guédiguian peut se regarder comme un écho méridional au militantisme d’un Ken Loach en Angleterre : il assume les représentations d’aujourd’hui dans un cinéma social qui fréquente le conte. La fiction est pour lui un vrai pouvoir, qui invente des personnages et qui, pour une fois, peut les rendre heureux. Si les premiers films de Guédiguian, comme Dernier été, sont volontiers porteurs de mort, le réalisateur ne renonce pas à indiquer à ses rescapés de la « classe ouvrière » le chemin du paradis. Marius et Jeannette, qui se conclut par un plan d’un optimisme irrésistiblement émouvant, marque ce goût pour le bonheur. Son histoire d’amour entre 2 accidentés de la vie est un conte idéologique et populaire, interprété par une formidable troupe de comédiens, une nouvelle fois menée par Gérard Meylan et Ariane Ascaride, la compagne du réalisateur. Les acteurs jouent avec tout ce que ce verbe contient de part de jeu, au-delà même du goût de la théâtralité affichée par les personnages. On rit, on est complices, parfois un peu agacé de cette complicité qui nous caresse dans le sens du poil, mais soudain le film émeut, touche juste, d’une manière parfois inattendue. Le sous-titre « conte de l’Estaque » explicite combien Guédiguian ne se prétend pas réaliste. On parle ici de romance populaire, touchant au pittoresque, prenant les couleurs de la farce, renouant avec la tradition populaire et revendicative de la marionnette. Et en plus le décor y est naturel, structuré dans deux théâtres : minuscule courette typique de l’habitat traditionnel du Sud et qui alterne avec le décor d’une cimenterie désaffectée, immense, dominant la mer. Malgré les soucis des personnages le film reste léger, drôle, surprenant, même si, mine de rien, il parle de déportation, de Le Pen, Cézanne, Fidel Castro, du goulag, de la grève, la Sécurité sociale, l’islam, les fermetures de classes, le tout ponctué par le « favisme », « une maladie mortelle liée à l’ingestion de fèves fraîches » !! Le film résumera même le problème social en une phrase : « Cézanne a peint des paysages et des quartiers où les pauvres vivent. Mais les tableaux finissent sur les murs des riches. » Revalorisant « la fonction pédagogique, politique et sociale de l’Art », Guédiguian ne craint pas d’affronter, sur le mode du discours, des thèmes difficiles. Ce défenseur d’un cinéma profondément populaire, à l’image des classes sociales qu’il met en scène, suscite néanmoins le besoin de « réenchanter le monde ». Banal film en apparence qui a la saveur d’un plat relevé à l’ail.


Analyse d’une séquence d’une minute : La préparation de l’aïoli dans la cimenterie.

1h02min42sec
La scène se passe dans la cour de la cimenterie. Elle commence par un plan rapproché vers des mains qui s’activent au-dessus d’une table sur laquelle est posée, en bas à gauche de l’image, une assiette contenant un verre à pied ainsi qu’une coquille d’œuf. Au centre de l’image, les mains de Dédé tournent le pilon dans un mortier, les mains de Justin à gauche, ajoutent un jaune d’œuf ; à droite, Marius tend une bouteille d’huile d’olive et en verse dans le mortier. Tandis qu’à gauche Justin secoue ses mains, la caméra remonte vers la droite sur les bustes de Dédé et Marius, orientés respectivement à droite et à gauche du cadre.

Dédé (off). Où elle a vu qu’on mettait du fenouil dans l’aïoli ?
Les visages de Dédé et Marius apparaissent dans le champ. Marius regarde Dédé.
Marius
. Et si ça y plaît le fenouil ?
Le panoramique s’arrête sur Dédé et Marius en plan poitrine.
Justin (off). Eh attention !...
(Dédé tourne la tête vers Justin dont on voit le doigt pointé vers la gauche. Marius aussi regarde Justin. Un bref panoramique sur la gauche commence à recadrer sur Justin)
La vraie recette de l’aïoli, c’est : des haricots verts,
(Le panoramique s’arrête sur Justin de gauche, plan poitrine, de trois quarts face, le regard baissé sur ce que fait Dédé qui, lui, se tient sur la partie droite de l’image, de trois quarts face également, et la tête baissée. On entend le bruit du pilon dans le mortier.)
… des carottes, des patates, du chou-fleur, œuf dur, baccala, et basta.
Dédé (secouant la tête). Eh bien sûr !...
Marius (tandis que la caméra se dirige vers la droite). Eh vous me faites rire. Si ça lui plaît le fenouil, on s’en fout de la recette !
Dédé. Elle a qu’à mettre des radis aussi !
Le panoramique stoppe sur Marius qui s’adresse à Dédé.
Marius. Et pourquoi pas ?
Un temps. Dédé baisse la tête vers le mortier. Le panoramique repart vers la gauche.
Dédé. Ne me regarde pas, tu le fais tomber.
Justin (off). Non,
(On découvre le visage de Justin qui regarde vers Dédé.)
… tu la fais tomber !
Dédé (relevant la tête vers Justin). Quoi ?
Justin. Eh ben oui, attention… Toi, toi, tu dis…
(Le mouvement s’arrête sur Justin et Dédé)
… un aïoli,
(En regardant le mortier)
…on dit pas un aïoli, on dit une aïoli.
Dédé (baissant les yeux vers le mortier). Eh ben moi je dis comme je veux !...
(S’énervant)
Et me parle pas, tu le fais tomber !
Justin (regardant en bas). Oh putain ! Tu vas voir, si je la monte, moi, hé ! Hein !...
(Dédé secoue la tête en prenant à témoin Marius hors champ à droite, sans cesser de remuer)
Tu peux faire ce que tu veux autour,
(Avec des gestes)
… la danse du scalp, le grand écart… Et tu verras, elle monte !...
Le panoramique reprend vers la droite.
Dédé (en regardant Justin). Oh, les vieux, y faudrait les tuer dès la naissance, hein !
Marius (à droite, avec un geste du doigt vers Dédé). Ah, ça, ça, c’est méchant.
Dédé (relevant la tête brièvement vers Marius). Hé ! C’est pour rigoler, hé !
Marius (catégorique). C’est méchant.
Le panoramique s’arrête.
Dédé (plus fort, en relevant la tête vers Marius). Hé ! C’est pour rigoler !
Un panoramique commence à monter.
Marius (regardant vers le mortier). C’est méchant.
Justin (off). Attention, tu le coules !
Le panoramique accélère vers le mortier. La main de Justin, dans un geste, entre dans le champ.
Marius (off). Oh ! Tourne, tourne, tourne !
On voit apparaître le mortier dans lequel Dédé tourne le pilon. Dedans l’aïoli prend forme. A droite, Marius tient toujours la bouteille d’huile d’olive prête à verser.
Dédé (off). Eh ! Je tourne, j’arrête pas, bon !
Justin (off). Attention, et toi, c’est pas les chutes du Niagara…
(Le panoramique s’arrête. Le mortier est au centre de l’image)
… là que tu nous fais !
Marius (off). Tu veux que je te remplace ?
Dédé (off, sa voix devenant plus lointaine). Allez, verse, hé !...


Synthèse :

Cette séquence nous montre le débat crucial d’une recette capitale pour tout bon méditerranéen qui se respecte : la fameuse recette de l’aïoli, sujet à controverse entre les trois hommes qui la préparent. L‘ail est une plante qui prouve que les classes existent encore, au moins au niveau du goût. La cimenterie est ici un peu le cimetière de la classe ouvrière. La mise en scène de cette séquence devient un peu scénographie, dans un sens presque théâtral, sans grande technique, avec une caméra discrète dont Robert Guédiguian se sert juste pour enregistrer les mouvements et les paroles de ses personnages. J’ai choisi cette scène car je la trouve représentative du film, et de l’idée qu’on se fait de la vie dans le Sud méditerranéen. Cette séquence, ainsi que la suivante, m’a beaucoup amusée et c’est une de celle qui m’a le plus marquée. De plus cette simple scène suffit à résumer parfaitement les caractères des personnages masculins du film : le discernement de Justin, l’obstination de Dédé et la délicatesse de Marius.

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